LE PRINCE
Tu as choisi la plus ignoble carrière,
vieux, ton fardeau est celui de l’humanité,
par la peine, l’ennui et le doute troublée,
dont tu bois et manges les restes amers
qui dégouttent un peu sur ton âme souillée;
oiseau vidangeur, prince des ordures,
d’une poubelle convertie à tes yeux,
tu cherches au bas-fond le filon précieux,
l’amas composite d’éléments impurs
qui fera de toi le plus envié des gueux;
les rues sales de ta ville, ces amantes
aux multiples rebuts irisant leurs travers,
ces trottes chevaleresques de naguère,
qu’on farde d’injures et d’horreurs cimente,
tu en es le maître abusé mais fier !
Ton sac troué, ta pipe, tes haillons,
ton verbe confus, orgueilleux et prodigue
répugnent aux moeurs de tous ceux qui se liguent,
bourgeois ignares et faux philosophes soûlons,
contre ta misère qu’avec force ils endiguent,
car il n’est pas chose facile de vivre
dans la peau d’un homme au crasseux destin
qui pour ultime leçon doit boire le vin
de ceux qui d’en haut commandent et délivrent:
les dieux qui se penchent sur nos tristes desseins !
(Paysage de Bretagne - peinture de Paul Gauguin)